2 oct. 2011

Les librairies et le numérique : intégration ou désintégration ?



Au commencement, il y eu le web. 

Souvenez vous, en 2000 Amazon débarquait en France. Dix ans plus tard, la plateforme est passée du statut de premier libraire virtuel à celui de premier libraire tout court alors même qu'elle n'a pas encore commercialisée dans l'hexagone sa liseuse électronique vedette Kindle (article le plus vendu aux USA, pays dans lequel le pureplayer vendre plus de livres numériques que de livres imprimés) ni sa tablette couleur 60% moins chère que l'iPad.


10 ans, c'est aussi le temps qu'il aura fallu à l'interprofession française pour accoucher de 1001libraires.com, un site de vente en ligne et de téléchargement. Sera-t-il rentable un jour, dans l'ombre d'Amazon, Google et Apple ? S'il est encore un peu tôt pour en juger, on peut toujours aller voir les commentaires laissés par les premiers clients : des plantages et puis le silence, celui de l'indifférence ?
De l'expérience américaine on peut aussi observer l'exemple de Barnes & Nobles. Dans la tourmente depuis plusieurs semestre, la première chaîne de librairies américaine vient de parvenir à enrayer la chute de son chiffre d'affaire en boostant les ventes de sa liseuse, le Nook, et des livres numériques (Le nook sauveur de Barnes & NoblesAldus ). Un redressement spectaculaire que n'a pas réussi  Borders, n°2 aux USA, aujourd'hui en dépôt de bilan. (Bye bye Borders – La république des livres).


Signe ultime des temps difficiles à venir pour le livre papier, IKEA vient d'annoncer la commercialisation prochaine d'une variante de ses étagères Billy. Plus profonde cette dernière est conçue pour accueillir les bibelots plutôt que les livres (source The Economist).
Dans ce contexte, comment réagissent les libraires traditionnels ? Comment s'approprient-ils le numérique ?


En France quelques librairies (23 selon le référencement d'Aldus) font preuve d'anticipation et d'esprit d'expérimentation comme au Divan à Paris (cf. vidéo ci-après).  Malheureusement ils restent des exceptions dans le paysage. Peu de libraires mettent en avant leur site internet et proposent du livre numérique (aucune en BD à notre connaissance). Peut-être attendent-ils des éditeurs une offre digne de ce nom pour sauter le pas ? Il est vrai que ces derniers traînent à proposer leurs catalogues en version numérique. Même IZNEO, qui regroupe pourtant la grande majorité des éditeurs franco-belges de BD, continue de développer son offre à un rythme de sénateur (seulement 100 nouveaux titres par mois). Pendant ce temps, les lecteurs comblent le vide : ils numérisent les livres et les partagent sur des dropbox.


Fort de ses constatations, nous nous sommes pris au jeu de refaire le monde autour d'un verre (plusieurs fois vidé) et d'imaginer ce que nous ferions à la place d'un libraire. Exercice purement intellectuel et facile, car théorique et déconnecté des contingences matérielles, mais intéressant car il nous a permis de réfléchir à l'évolution des pratiques commerciales dans un monde modifié en profondeur par internet.  Des réflexions empreintes du passionnant Méthode Google : que ferait Google à votre place ? (merci Ludo !) et plus ou moins bien retranscrites ci-après (le Pic Saint-Loup, bon pour l'émulation moins pour la mémoire) :
  • Vers un marché du beau livre papier ? Nous nous habituons de plus en plus à lire sur l’iPad et notre attachement au livre papier commun (poches, BD classiques, …) se réduit. Cela prend de la place et c’est plutôt moche. Donc y avoir accès par le numérique est une bonne solution. Suivant cette logique, l’acte d’achat en librairie se focaliserait vers le festif (achat de beaux livres, cadeaux, …). On se spécialise dans les beaux livres donc.
  • Après le prix unique, le lieu unique ? Le patron des éditions Stock a pris position pour que les ventes de livres soient limitée à "un lieu singulier/unique". Une proposition à contre-courant qui a suscitée de nombreuses réactions négatives sur le net ("dans la famille blaireau nous avons le père", "attitude rétrograde à condamner", ...). Une option qui va en effet à l'encontre de la libre circulation des biens culturels. Presque dangereux, donc solution écartée.
  • La diversification, la solution des libraires ? Pour Fabrice Piault, "les librairies doivent se réinventer en profondeur. Une solution : rendre les librairies encore plus conviviales, quitte à les coupler à une cave à vin, à une agence de voyages, ou à y donner des cours de cuisine". Et pourquoi pas Libr'Hair, une librairie salon de coiffure ? (Coupe Nothomb à 30 euros, ...) La diversification de l'activité nous paraît délicate et source d'égarement pour le libraire ainsi que pour ses clients. De plus, le concept a été nous semble-t-il déjà testé avec un succès très relatif des librairies salon de thé(exception faite des activités proches : papeterie, musique, ...). Mais un libraire pourrait effectivement s'associer avec un spécialiste de la restauration (type Starbuck)   et créer un espace commun, non ?  
  • Le conseil, l'apanage des libraires ? La valeur ajoutée du libraire réside indubitablement dans sa capacité de conseil. Une spécificité aujourd’hui challengée par les blogs et critiques accessibles en ligne qui tient encore bon car le libraire a un avantage supplémentaire, celui d'être inséré dans un réseau local. Atout qui n'est pas encore renforcé par le web bien que de plus en plus de librairies animent une communauté à l'aide de Facebook (Bédérama à Reims par exemple). Mais une dynamique supplémentaire serait d'accueillir des critiques de lecteurs. Un chemin que la FNAC a franchi à moitié : les communautés accessibles sur le site sont animées par les vendeurs, les lecteurs ayant seulement le droit de donner une note ou un commentaire. Autre approche proposée par Le comptoir de la BD, envisager une prime au conseil. Intéressant.




Mais les éditeurs restent les premiers maillons de la chaîne et c'est à eux de mettre en œuvre tous les moyens pour développer au plus vite l'offre numérique. C'est aussi à eux de trancher et d'abandonner ces DRM qui enquiquinent tout le monde sauf les pirates. 
C'est à eux de remettre à plat l'économie du produit qu'ils produisent. Légitimement les acheteurs ont le sentiment de se faire avoir quand on leur propose des fichiers epub 20 % moins cher qu'en version imprimé. Comment est-ce possible alors qu'il n'y a plus le papier, l'impression, le transport, le stockage et la distribution ? 
A quand un prix à la fois unique pour tout le monde (ça c'est fait depuis le printemps) et pour tous les livres ? Allez, deux gammes de prix tiens : pour la littérature une indexation sur le nombre de caractères et pour les albums, un prix fixé d'après le nombre d'illustrations !  


Le risque de ne pas bouger rapidement est de laisser le champ libre aux distributeurs américains qui, comme Apple l'a fait avec la musique, finiront par imposer leurs règles. En défendant le marché du livre papier et en affichant un soutien sans faille aux libraires, les éditeurs français rendent-ils vraiment service à ces derniers ?


François et Sylvain

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