Alors que les ventes de tablettes décollent (435 000 unités vendues en 2010 en France, 1 million prévues pour 2011 selon GFK pour une projection mondiale de 27 millions d'unités), Sébastien Naeco publie un billet inattendu et "à charge" sur la distance que crée selon lui le support numérique entre une oeuvre et le lecteur. "Le livre dans la sphère numérique n'est plus un compagnon, il devient un contenu "comme un autre", il est mis à distance, dissimulé dans une machine, caché au regard direct." Un avis que partagent les irréductibles amoureux de feuilles cellulosiques comme ce très cher Laurent C.
Le billet du Comptoir de la BD liste de nombreux points de différenciation entre numérique et papier et m'a intéressé car certaines positions sont éloignées de ce que je peux penser.
Image captée sur le site IDBOOX, riche en information sur le livre numérique |
Passage en revue gentiment critique, et j'espère constructif, des principaux éléments de discussion :
- Confort d'utilisation moindre sur support numérique : "Un livre on le prend, on le feuillette et on le repose quand on veut." Certes, mais le numérique présente aussi un supra de confort : modulation de la taille des caractères et des images, faible encombrement (1 tablette = x livres). Aldus réagit d'ailleurs sur ce point : "Franchement poche/reader, je ne perçois plus de différences rédhibitoires, les avantages de l'un et de l'autre se superposant." Sauf au soleil sous lequel les tablettes montrent une vraie limite (les lecteurs à encre électronique moins je crois). L'iPad, un outil de prévention des cancers de la peau ?
- Robustesse moindre des équipements numériques : "Le livre peut tomber dix fois par terre, il restera lisible (à moins de le baigner, ce qui est plus rare) tandis qu'une liseuse peut se briser et s'avérer de fait inutilisable." Certes. On ne peut pas non plus mettre un ebook dans sa poche. Quoiqu'un smartphone ....
Exemple de lecture sur iPhone sur iPhonekiller et AveComics |
- Moindre pérennité du stockage des oeuvre achetées : "... si le lecteur casse, tout son contenu peut être perdu et doit être racheté". Argument techniquement faible à mon avis. Des copies des fichiers numériques restent accessibles sur l'ordinateur personnel ainsi que sur le serveur du vendeur / pourvoyeur. C'est le cas sur IZNEO par exemple ou même sur iTunes qui garde trace des achats. Le cloud computing devrait permettre d'accéder à notre bibliothèque de n'importe quel endroit à n'importe quel moment. De quoi voyager léger ... moyennant une connexion internet ce dont le livre papier se passe volontiers.
- Mauvaise appréciation du prix du livre numérique : "Je suis sidéré quand on critique le prix d'un livre dans sa version numérique alors que l'on peut être prêt à payer plusieurs centaines d'euros pour un lecteur électronique." Point sur lequel je suis le plus en décalage avec le rédacteur du Comptoir de la BD (l'argumentaire à suivre est centré sur les tablettes numériques couleur car elles permettent aussi de lire des BD). L'achat d'un iPad (60-70% des tablettes vendues en Europe et aux USA) est fortement perceptible sur le compte en banque. Tout le monde est d'accord sur ce point mais contrairement à S. Naeco je ne pense pas que cet "investissement" impacte directement le budget livre. Je mettrais plutôt en cause les dépenses qui en découlent (forfait 3G et téléphone ; accès internet ; achat d'application, de films, de musique, ...) et qui ponctionnent plus discrètement mais sensiblement le fond de roulement des ménages. Pour en revenir au livre numérique, le possesseur de tablette paye de fait le support et, d'une certaine façon, la chaîne logistique. Basé sur ces observations frappées du coin du bon sens ainsi que sur les estimations du coût du livre numérique disponibles, en tant que consommateur, j'estime que les prix des nouveaux romans sont trop élevés (numérique environ 1 euro moins cher par rapport au papier). Sur ce point, les éditeurs BD jouent bien mieux le jeu. Le coût des nouvelles BD est globalement 40% moins cher en numérique qu'en papier (exemple Julia et Roem de Bilal sur FNAC.com). Toujours selon S. Naeco, cette mauvaise appréciation de la réelle valeur de l'offre numérique expliquerait le "contournement par des filières parallèles". On ne peut, à mon avis, exclure que le piratage prend surtout sa source dans l'immaturité de l'offre commerciale :
- Quantitativement : 2417 titres sur IZNEO (à date) dont 20 mangas qui représentent pourtant 1651 publications en France rien que pour l'année 2010.
- Qualitativement : les formules d'achat sont encore très rigides. L'acheteur ne dispose pas toujours du fichier de l'oeuvre (cas d'IZNEO). Le prêt est impossible ce qui est une régression par rapport au livre papier et aux principes d'échange d'internet. A noter toutefois l'initiative intéressante du Lombard qui propose une formule d'abonnement (50 BD consultables par mois pour 10 euros). Mais ce type d'offre sera réellement intéressant lorsque le catalogue concerné intégrera d'autres éditeurs (idéalement l'ensemble du catalogue IZNEO)
Illustration : Anthony Fric, CRDP de l'académie de Versailles |
- Sélection / censure des oeuvres mises en lignes par Apple et Amazon : "Désormais, d'autres acteurs peuvent demander un droit de regard sur le contenu a posteriori de la version fixée par ceux dont c'est exactement le métier". Tout à fait d'accord. Pour éviter, semble-t-il, des problèmes juridiques et des pressions de lobby moralisateurs, Apple exerce une sélection des œuvres proposées sur ses plateformes. Ce qui crée d'ailleurs des marchés niches dont s'est notamment saisi Digibidi (BD adultes lisibles en ligne).
- Disparition de la représentation sociale de la bibliothèque : "la présence de livres dans son environnement personnel et professionnel ne disent absolument pas la même chose que de montrer un bureau avec un bel ordinateur sans papier alentour." Mon ressenti est que cette phrase est écrite par un bibliophile et contient une petite pointe d'élitisme. Oui les livres donnent de l'ambiance à une pièce et renseignent sur l'occupant des lieux mais ils ne sont pas essentiels aux relations humaines. Par ailleurs, comme me le disait récemment ce cher François, le numérique et le papier sont certainement amenés à coexister. Le numérique va s'étendre pour la lecture standard type journal, poche ou BD détente, le papier perdurer pour les beaux objets. Les récentes publications autour de M. Tillieux entrent pleinement dans ce cadre (rééditions Gil Jourdan par Dupuis et Héroic par D. Maghen). Une direction que l'éditeur Une idée bizarre semble vouloir aussi suivre (publication de suites inédites, ...)
L'actu en patates par Vidberg |
Sans avoir basculé dans le tout numérique, j'avoue cependant m'attacher de moins en moins aux objets papiers quelconques et m'être habitué à lire sur écran sans perte de passion ni d'intérêt vis à vis du contenu. Je crois vraiment à la co-existence des deux supports avec un numérique fonctionnel et un papier tourné vers un marché de qualité.
Curieusement, ce billet du Comptoir de la BD, qui passe volontairement sous silence les avantages du numérique, m'a donné envie de lire La BD numérique du même S. Naeco afin de mieux comprendre la position de ce e-influencer sur le sujet. Du coup, j'ai téléchargé son livre disponible sur librairie immatérielle ....
Sylvain
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