Philémon occupe une place toute spéciale dans mon parcours de lecteur.
Début des années 80, j'ai le droit d'aller tout seul à la bibliothèque municipale, je m'assois sur les coussins à côté de la fenêtre et me plonge dans un univers onirique où un grand garçon parcours le monde des lettres, celles de l'océan Atlantique. Identification maximale avec ce personnage qui rencontre des centaures majordomes, vogue dans une bouteille-navire, aide le vieux Barthélémy à revenir à la réalité malgré lui, escalade un chien fumeur de cigare, marche sur le rayon lumineux du phare-hibou .... Magique et certainement clé dans ma passion pour le neuvième art.
Pourtant, les années passent, ma collection de BD s'étoffe mais n'accueille toujours aucun album de la série phare de Fred. Je les connais trop ces histoires, pas la peine d'en acheter les albums. Et puis, elles sont plutôt moches les éditions qui s'enchaînent au fil des années.
Au milieu des années 2000-2010, dans la cohue d'une des tentes éditeurs du festival d'Angoulême, j'apprends que Fred est en dédicace. Emotion. J'achète rapidos le premier tome à portée de main et me prépare mentalement à faire une longue queue. C'est Fred tout de même ! Et là surprise : zéro temps d'attente. Je tends ma BD, "c'est pour Sylvain" et bredouille maladroitement quelques phrases genre "Philémon est une des BD qui m'a le plus marqué enfant, ... tout ça". Le petit vieux blasé limite revêche de derrière le comptoir me lance un regard dénué de tout intérêt, fait une dédicace vite fait et au revoir. Déception dans le camp français.
La dimension spatiale de la bande dessinée et la dimension textuelle. Fred, Philémon. L'Île des brigadiers, Dargaud, 1975, page 2. Dans une même planche, Fred oppose deux modes de lecture : un mode de lecture chronologique dans lequel les cases se succèdent et un mode de lecture spatial dans lequel le regard voyage sur la page de manière circulaire. (source Pierre Campion) |
Il y a quelques mois, l'intégrale de la série est rééditée dans un format vraiment sympa et qualitatif. Je saute le pas et je m'en félicite dès l'ouverture du premier des trois volumes. Je passe une délicieuse après-midi à me replonger dans les aventures du garçon au pull rayé blanc et bleu. Le dessin, selon moi très marqué année 70, me dérange un peu mais quelle richesse et générosité dans la création. Fred ne carburait certainement pas qu'à la camomille dans les années 70 ou alors il vivait dans un autre monde. Peu importe. Pour reprendre le terme choisi par Gosciny dans la préface, c'est juste "formidable!".
L'oeuvre vaut parfois mieux que l'auteur et les lecteurs que nous sommes attendent trop de ces brèves rencontres forcées, pas toujours mutuellement consenties, il faut croire.
Il m'est cependant difficile de recommander d'acheter cette oeuvre à ceux pour qui Philémon n'est pas une madeleine de Proust. La lire, oui, car il s'agit d'une série majeure de l'art séquentiel. Pour autant, elle est assurément segmentante et mieux vaut valider soi-même l'achat avant de lâcher les 100 euros que coûte ce regroupement de 15 tomes. A recommander aux rêveurs et à tous les enfants dans l'âme.
L'intéressant Blog BD de SudOuest conclut d'ailleurs sa chronique sur ce thème : " Philémon la BD , ne laissera personne indifférent. Vous y plongerez tête baissée ou vous resterez incrédule comme le père de Philémon ...".
Sylvain
il faut croire qu'il reste encore quelques nostalgiques malgré la notoriété usée de Fred dont tu nous as fait part!
RépondreSupprimerQuand j'étais plus petite, je pouvais passer plus de vingt minutes à contempler une seule des pages "bizarres", comme si Philémon allait sortir de la page...
*soupir*