Plate-formes commerciales numériques : chantier en progression
Le marché de la BD numérique est économiquement epsilonnesque. Les quelques chiffres disponibles le confirment : IZNEO aurait vendu 400 exemplaires du dernier Largo Winch (à comparer aux 470 000 de la version papier), Ave!Comics "est parvenu à vendre entre 150 et 200 bandes dessinées par jour sur les 6 derniers mois après la sortie de l'iPad". Des performances très éloignées de celles de Lucky Luke - L'Homme de Washington dont les 10 000 téléchargements restent une exception.
Cause ou conséquence, l'offre numérique est encore balbutiante. Les professionnels du secteur ont identifiés les facteurs clés du succès : richesse et prestige des catalogues, tarifs et services attractifs, capacité à proposer une offre multi plate-formes cohérente, complémentaire et évolutive (cf interview de B.S Ewencyzk (fondateur de digiBiDi) sur le blog du Figaro). La stratégie de développement est aussi clairement exprimée, comme en témoignent le livre vert d'IZNEO sur les industries culturelles et créatives ainsi que l'interview d'Olivier Sulpice (fondateur de Bamboo éditions) dans Bourgogne Côté Livre Pro. Cependant, aucun acteur ne propose encore une offre mature, que ce soit en terme de contenu, de logiciel et de palette commerciale.
Ainsi, les catalogues numériques francophones sont "légers", en nouveautés mais aussi en manga et comics, ce qui paraît paradoxal face à la volonté déclarée des éditeurs d'offrir une alternative au piratage.
Plus gênant, la dispersion de l'offre.
Chaque éditeur y va de se plate-forme en ligne : Media Participation pousse IZNEO, Soleil Prod. est pour l'instant avec Ave!Comics, Les Humanoïdes Associés ont annoncés le lancement de leur "market place" pour janvier 2011, digiBiDi et Mobilire jouent leurs cartes et, selon Sébastien Naeco, Casterman et Delcourt préparent chacun un projet.
Une situation qui oblige le consommateur à naviguer d'un site à l'autre, multiplier les comptes personnels et à s'adapter à des lecteurs numériques différents. Le consommateur se doit d'être motivé, organisé et en confiance, sachant que d'autres points donnent aussi matière à discussion :
Une situation qui oblige le consommateur à naviguer d'un site à l'autre, multiplier les comptes personnels et à s'adapter à des lecteurs numériques différents. Le consommateur se doit d'être motivé, organisé et en confiance, sachant que d'autres points donnent aussi matière à discussion :
- La portabilité. One Eyed Pied sur Bédérama "....Par exemple, j'aimerais pouvoir lire mes BD aussi bien sur mon téléphone que sur mon ordi et ma future hypothétique tablette. Les BD étant DRMisées d'une façon ou d'une autre, il faut donc que des applications existent pour tous les systèmes disponibles et à venir !"
- Les systèmes de paiement. Florian sur Application iPhone " ... au moment de procéder à l'achat, on quitte l'application pour passer sur Safari et le site web d'IZNEO, ... Où est l'in-app purchase?" La règle d'or du commerce moderne plaçant le consommateur à un mètre, un mot ou un clic de l'acte d'achat n'est effectivement pas encore une réalité bien que la mise en place de porte-monnaies électroniques ait fluidifiée les transactions régulières.
- Offre commerciale manquant de cohérence. Le papier d'humeur de Cod9x sur le sujet est une bonne illustration de ce qui peut arriver.
Les applications BD ne sont donc pas encore abouties, c'est une évidence. Leurs notations sur iTunes, mauvaises ou du moins très segmentées, reflètent cet état de fait.
Cependant, il faut reconnaître qu'elles progressent régulièrement et qu'il est désormais tout à fait possible de lire de bonnes BD sur tablette numérique dans des conditions tout à fait acceptables. C'est en tout cas mon avis que j'ai dernièrement réactualisé en retestant les 3 principales plate-formes.
Cependant, il faut reconnaître qu'elles progressent régulièrement et qu'il est désormais tout à fait possible de lire de bonnes BD sur tablette numérique dans des conditions tout à fait acceptables. C'est en tout cas mon avis que j'ai dernièrement réactualisé en retestant les 3 principales plate-formes.
Retour d'expérience sur digiBiDi, Ave!Comics et IZNEO
Profitant de l'offre de lecture gratuite du premier tome de Stangers In Paradise (Terry Moore), j'ai poussé plus loin mon exploration digiBiDiesque.
Faiblesse de digiBiDi : le lecteur numérique. Acceptable pour lire des previews, il n'est pas satisfaisant pour un album complet (125 pages dans ce cas) :
- Lecture sur iPad non optimisée - Impossibilité de retirer la barre de navigation internet (possible sur les PC sous Windows selon Daniel de digiBiDi).
- Sédentarité forcée - La nécessité d'être connecté à internet pour lire est une contrainte forte qui n'en fait pas une solution nomade.
- Plantage du lecteur - En plus du chargement des pages qui freine parfois la lecture, j'ai été obligé de réinitialiser l'album (=sortir du site et y revenir) par deux fois pour finir le tome. Manque de chance ou problème récurent ?
Par contre, les previews disponibles me paraissent de plus en plus nombreuses et variées. Une présentation de la moitié des albums sélectionnés dans le cadre du FIBD d'Angoulême 2011 est d'ailleurs proposée. Sympathique initiative qui donne une idée de ce pourrait-être une véritable librairie virtuelle.
Le catalogue des locations et des achats reste modeste, se distinguant par un rayon adulte.
Conclusion : déçu par le lecteur numérique, je n'utilise digiBiDi que pour les previews.
J'ai fini par sauter le pas ! Trois titres achetés, très différents dans leurs styles et formes afin de tester l'application : Séoul District - Chapitre 1, L'Astronef n°8 et Happy Sex de Zep.
Grosse force d'Ave!Comics : la portabilité. Les BD achetées peuvent se lire sur ordinateur PC et Mac, iPad, iPod Touch, iPhone, Blackberry et téléphones sous Android.
Comme de nombreuses personnes auxquelles je l'ai montré, je reste sceptique sur le mode de "lecture animée" qui fait défiler les cases une à une. Je reconnais que c'est très bien fait, et essentiel pour lire sur de petits écrans, mais la vision de la planche entière me manque et l'impossibilité de pouvoir moduler à l'instinct le rythme de lecture me gène. Une question d'habitude, peut-être, qui me fait préférer le classique mode "lecture page". Très bien réalisé aussi, bien que je n'ai pas réussi à obtenir une lecture plein écran paysage 100% manuelle sur iPad.
Je trouve étonnant que le premier chapitre de Séoul District ne soit pas proposé en lecture gratuite. Ce manwha transmédia (BD, effets sonores, animations et même scènes filmées avec des acteurs) permet en effet de montrer toutes les possibilités de l'application. Cela étant, il ne coûte que 1,59€, aussi n'hésitez pas à vous faire votre propre opinion.
Faiblesse d'Ave!Comics : le catalogue qui est incontestablement moins fourni et dynamique que celui d'IZNEO. Moins varié aussi (pas de catégories Polar, Histoire, ...). Je vais même jusqu'à penser que les albums ne sont pas classés par série afin de maximaliser l'occupation d'espace.
Néanmoins, le site propose des catégories/fonctions intéressantes : "nouveautés", "à paraitre", possibilité de classer les albums par date de parution et d'offrir des BD numériques.
Reste le point bloquant en ce qui me concerne : toujours pas d'offre de location. Mais si le catalogue et l'offre commerciale venaient à s'enrichir, je pourrais tout à fait devenir utilisateur régulier d'Ave!Comics.
Grosse force d'IZNEO : le catalogue. Incontestablement le plus actif et le plus fourni (1597 titres le 22 novembre, 1754 aujourd'hui). Il propose de nombreux classiques ainsi que des nouveautés, essentiellement franco-belges. Plutôt bien conçu, il manque toutefois une catégorie nouveautés et/ou un classement par date de publication.
Le système de lecture est agréable, passée la nécessaire période de prise en main notamment pour tourner les pages. La portabilité est limitée aux ordinateurs et à l'iPad. La lecture hors ligne sur tablette Android et sur iPhone devraient visiblement apparaître (en 2011?).
Petit détail, un "Bravo!" vient récompenser l'acheteur ayant passé toutes les épreuves du paiement en ligne. Amusant non ?
Gros point noir, le "crashage" de l'application iPad depuis sa mise à jour de décembre 2010. Longue à s'installer, elle plante une fois sur deux. Un bug connu du service technique qui répond très poliment aux mails mais qui n'a pas encore résolu le problème.
Le numérique plus cher que le papier, c'est possible ! |
L'autre grand intérêt d'IZNEO est, en ce qui me concerne, de pouvoir louer des BD pour 1,99€. Un prix qui ne s'applique pas aux titres récents (assez compréhensible) ni au catalogue Casterman (incompréhensible car des séries sont plus onéreuses en numérique qu'en papier (FOG est ainsi 10€ plus cher que l'intégrale en librairie, la location revenant juste au même prix !)).
Le site rend désormais possible d'obtenir une série entière d'un clic. Une bonne idée qui serait vraiment intéressante si le prix de gros était allégé par rapport au prix au détail (comme pour les intégrales papier), ce qui n'est pas le cas (et pourtant, même iTunes fait ce type de remise pour les albums et séries).
Le site rend désormais possible d'obtenir une série entière d'un clic. Une bonne idée qui serait vraiment intéressante si le prix de gros était allégé par rapport au prix au détail (comme pour les intégrales papier), ce qui n'est pas le cas (et pourtant, même iTunes fait ce type de remise pour les albums et séries).
Bref, encore une fois, la politique commerciale mériterait d'être clarifiée, expliquée et étoffée. Patience, il semble qu'une offre "forfait BD"pointe le bout de son nez.
Je reste un habitué d'IZNEO qui est à mon avis l'offre la plus satisfaisante actuellement. Le bug de l'application et la difficulté de suivre facilement les albums ajoutés ont fait diminuer ma consommation.
Je reste un habitué d'IZNEO qui est à mon avis l'offre la plus satisfaisante actuellement. Le bug de l'application et la difficulté de suivre facilement les albums ajoutés ont fait diminuer ma consommation.
2011, l'année de la maturité ?
Après une année 2010 de défrichage, de mise en place et d'apprentissage, on peut penser que l'offre numérique gagnera en maturité et consistance en 2011. Les professionnels du secteur paraissent avoir une vision claire de la situation. Le tout est de savoir s'ils parviendront à se donner les moyens de leurs ambitions :
- L'investissement nécessaire sera-t-il dégagé ? Le développement du numérique restera-t-il stratégique alors que la source financière première, le marché papier, stagne ?
- Les éditeurs parviendront-ils à proposer une offre de qualité, cohérente et non dispersée ? Les libraires vont-ils se saisir de l'opportunité offerte par le numérique ?
- Le malaise évident, et visiblement profond, des auteurs sera-t-il un frein au numérique ? Un accord éditeurs-auteurs sera-t-il négocié ?
En tant que lecteur, je l'espère.
Des sujets qui seront dans tous les cas intéressants à suivre et qui viendront enrichir régulièrement la rubrique BD numérique de Bédérama.
Sylvain
Liste complémentaire d'articles abordant la BD numérique :
- La BD numérique avance à tâtons - Regardailleurs
- Querelle financière entre auteurs et éditeurs - Le Monde
- Des BD inédites d'auteurs confirmés lisibles gratuitement en ligne - Bodoï
- BD numérique 8comix - Actualitté
- L'année dans le rétro - Comptoir de la BD
- Editeurs de bande dessinée et édition numérique : un état des lieux - CELIC
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