De P Ôtié et LI Kunwu
3 tomes - Noir et Blanc
Dargaud Lombard
Eblouissant triptyque que ce récit d’une vie.
Le temps du père, le temps du parti, le temps de l’argent. 700 et quelques pages fulgurantes, 700 planches porteuses de larmes... Le trait noir magnifique, rugueux comme l’époque, l’encre des dazibao, prolongements dramatiques de la calligraphie ancestrale. La plume est dure, hachée comme la vie de LI, mais soudain adoucie, si douce, lorsque la femme surgit. Ebloui par l’immense labeur de ces milliers de cases fouillées, terrifiantes parfois, réalistes souvent, magnifiques toujours.
Mais aussi incroyable auto-analyse d’une vie difficile, perdue, sauvage, affamée, soumise, castrée d’amour, comme les centaines de millions d’autres.
Ce n’est pas une B.D, c’est un divan analytique et un superbe livre d’histoire où alors B.D prend là quelque sens de Biographie Désespérée. Quelques 40 ans d’errances, nées avec l’irruption de Mao, pauvreté, ignorance, Mao qui soudain redonne semblance d’énergie à un pays en pleine errance. Période d’un système qui secoue le wagon, fenêtres fermées, pour faire croire aux occupants qu’il avance. Puis soldat, amour en friche, Armée de Libération du Peuple, talent de dessinateur utilisé à condition que…ce qui conduit naturellement au parti et aux pleurs de 76 quand Papa Mao casse sa pipe et garde ses dents jaunes pour l’éternité. Orphelinat général.
Puis, bing, arrive papa Deng Xiao Ping et son allégorie du chat et de la souris, qui ouvre grand les portes au fric, du business effréné, combines à gogo, gigantesque Monopoly, perdu, déboussolé l’ami LI, comme tous….
Pour qui a eu la chance et le bonheur, comme moi, de vivre quelques 7 ans en Chine, aimé profondément ce pays, lu son histoire avec frénésie, ce livre est d’une parfaite honnêteté, d’un réalisme profond, d’accouchement sans doute difficile mais accomplie de talent graphique.
Trajectoire d’une vie ou survie par talent ? Je penche pour la dernière option, le Peuple Chinois n’ayant eu ni mot, ni nourriture pendant si longtemps, entre autre lors du célèbre « Bond en Avant » de 58 à 62, générateur de 30 millions de morts par famine.
Bref, magnifique livre d’histoire, homme et pays confondus, à donner et consommer sans modération. A donner à nombre de ma génération, les lécheurs fessiers du système Mao des années 60-70 qui ont avalés et propagés les mensonges comme Gide avait avalé ceux du Staline. Les noms abondent, Sartre et la Beauvoir-Castor en étant figures de proue, mais il en reste encore tant, hébergés par la Presse écrite parisienne. Ceux là même qui étalaient des dizaines de mètres de tréteaux à l’Université, exposant les grandioses réalisations Chinoises, les « œuvres impérissables » de Mao et de Jiangqing, « Mme Mao », dite « pomme bleue », « liang ping » dans les bordels Shanghaiens des années 30, terrifiante horreur faite femme, dont l’arrestation à Pékin, déclencha joie populaire de longue durée…
Merci (Xie Xie en Chinois) de ces 3 beaux livres, aux auteurs d’abord et aux amis qui me les ont offerts. Il m’arrive quelquefois, le soir, avant que les paupières ne s’affaissent, de rester sur une planche, et rêver. Cela me semble le plus simple hommage à faire à l’immense et magnifique œuvre auto-bio-graphique de LI Kunwu, 3 mots clés pour 3 tomes, d’un honnête homme du Yunnan, talentueux dessinateur, fétu de paille balloté dans la tourmente d’un pays qui revenait de très loin, pays enfant d’un passé douloureux, aujourd’hui adolescent au développement autant prometteur que difficile. Mais comment ne pas davantage aimer la Chine et surtout son peuple, quand on sait d’où tous reviennent ? LI Kunwu l’illustre à la perfection.
Didier
Les trois tomes d'Une vie chinoise sont aussi disponibles en numérique sur IZNEO.